On a souvent entendu que la vérité est relative, que toute vérité n’est pas bonne à dire, qu’il y a souvent plusieurs vérités, ou que chacun a sa vérité, etc. La vérité est opposée au mensonge, mais en quoi a-t-elle une efficacité, en tant qu’idée ? Qu’est-ce qu’elle veut dire, finalement ? Et pourquoi certaines personnes disent, éventuellement, que ce qui les met en mouvement dans la vie est non pas le plaisir, le bonheur, la réussite, le succès, le bien-être d’autrui, mais bien la recherche de la vérité ? Court article cette semaine sur cette idée si commune, mais si peu comprise. Pour ceux qui s’y intéressent, la recherche de la vérité et le questionnement sur la vérité des connaissances acquises, en philosophie, c’est la branche qui s’appelle « l’épistémologie ».
La « Vérité » ?
L’individu est jeté dans ce monde, progressivement et lentement. En naissant d’abord, en passant par l’enfance, puis par le reste ensuite. Tout ce que l’individu croit savoir du monde lui est transmis par un système social qui le précède et qui lui survivra (dans les cadres métaphysiques habituels ceci dit).
Ce bagage que la société nous impose, par la famille, l’entourage, l’école, le système médiatique, ou n’importe quelle autre institution, fonctionne la plupart du temps selon une opposition entre « vérité » et « mensonge », donc l’un étant à retenir, l’autre à rejeter. Il arrive qu’on parle d’incertitude ou de « pas prouvé ».
Toujours est-il que, peu importe ce que la société nous envoie comme données sur ce qui est vrai et ce qui est faux, il n’y a qu’une seule vérité : celle qui se déploie à chaque instant dans notre monde réel, fait après fait.
La Vérité, c’est simplement l’explication exacte de ce qui se passe. Ainsi, si je fais de la biologie et que je veux expliquer le fonctionnement d’un organisme, je suis dans le « Vrai » si mon explication est directement compatible avec ce qui arrive « réellement » dans cet organisme. Si mon explication n’a que peu de lien avec ce réel, et même, qu’elle explique non seulement pauvrement, mais même pas du tout ce qui arrive réellement dans l’organisme, je ne suis pas dans la vérité. Je serais dans l’erreur, et si j’ai volontairement fait cette erreur, ou je m’obstine à ne pas la remettre en question, alors je suis dans le mensonge.
Ainsi, il n’y a qu’une seule vérité objective : celle de « ce qui se passe dans le monde » et « ce qui s’est passé dans le monde ». La vérité des faits. En effet, le grand combat de l’humanité, depuis la nuit des temps, a été de tenter rendre « visible » cette vérité cachée, par la connaissance, par son intelligence et sa capacité de raisonnement de déduction.
D'ailleurs, le mot pour décrire la vérité en grec ancien est Aletheia, qui étymologiquement vient de la particule A combinée au mot Lethe: A-Lethe-ia. A est l'absence, et Lethe veut dire l'oubli, donc absence de l'oubli. Ainsi, le sens du mot Aletheia, donc vérité en grec ancien, est : cesser d'avoir oublié, ou, sortir quelque chose de l'oubli. De l'oubli, de l'obscurité, du caché, du voilé…
Or, notre monde réel est vaste et le flux d’information qu’il génère à chaque seconde n’est pas traitable en totalité pour un esprit normal. Seulement notre planète est immense pour un seul individu, donc chaque individu peut percevoir la vérité de façon parcellaire.
La vérité, dans sa forme idéale, est simplement le portrait global et exact du monde dans lequel on a été projeté en tant qu’être : comprendre la société, comprendre l’existence, comprendre la vie, la mort, comprendre le divin, etc.
Ainsi, la vérité objective existe, unique, mais les façons d’en parler et de l’interpréter sont multiples et les erreurs involontaires *ou volontaires* arrivent.
Les vérités (les « opinions ») ne se valent pas toutes
Quelqu’un qui a passé sa vie à éplucher des livres, à cultiver son intellect et à réfléchir à des questions selon des centaines d’angles possibles, toujours en se demandant s’il avait tort, en recherchant la vérité à tout coup, aura probablement une opinion plus affinée que quelqu’un qui passe ses semaines à faire la fête, boire beaucoup d’alcool, et écouter une fois par année un documentaire qui touche un sujet sérieux. Les deux individus n’auront probablement pas la même profondeur d’analyse sur le sujet, puisque l’un des deux a creusé plus profond. Ainsi, « la vérité » de l’un peut être plus valable que celle de l’autre.
La vérité, c’est se coller au monde réel
La vérité implique qu’on s’en tienne directement au monde réel, et donc, à ce qu’on peut démontrer, ou du moins, à ce qui peut construire un sens lorsque mis ensemble.
Parfois, la vérité peut sembler s’apparenter à de la folie, parce que tellement loin des idées reçues. (Cela s'apparente d'ailleurs à de la dissonance cognitive, voir l'article Dissonance cognitive.) Or, ce qui donne le critère de « vrai » n’est pas d’être partagé par la majorité des gens, mais bien de coller à ce qui se passe « dans le monde réel ». Donc, autant « en avant de la scène » que « dans les coulisses ».
Il faut cependant dire que décrire certaines parties du monde réel peut s’avérer extrêmement compliqué, voire peu possible. Certaines dynamiques de notre monde ont lieu dans des endroits secrets, et les gens qui en font partie ont l’habitude d’avoir en commun de bonnes capacités à rester muets.
C’est alors qu’entre en jeu une autre méthode de recherche de la vérité, ou de recherche de la validation de l’exactitude de nos connaissances sur le monde réel : la méthode hypothétique déductive. Spéculative, disons, mais pour les racoins du monde qui sont obscurs et qui ne peuvent être appréhendés autrement que par déductions.
C’est de constater des effets bien observables, et déduire une cause, sans jamais pouvoir la voir, par contre.
Cette méthode existe dans toutes les sciences. Elle a permis notamment, sans jamais le voir, seulement en constatant ses effets, de déduire l’existence du trou noir en astrophysique.
C’est la même chose dans la société. On peut identifier des dynamiques sociétales seulement en identifiant les effets, pour en déduire une cause sans l’avoir observée.
L’exception métaphysique
Rappelons que la métaphysique, c’est la branche de la philosophie qui s’intéresse aux questions existentielles : « Pourquoi quelque chose plutôt que rien ? » « Pourquoi la vie ? » « Pourquoi la mort ? » « Pourquoi le temps ? » « Dieu », « D’où vient cette réalité ? » « Que suis-je ? » « Qui suis-je ? » « Qui contrôle cet Univers ? » « Qu’est-ce que l’éternité ? » « Qu’est-ce que le bien, et le mal ? » etc.
Ces questions sont d’un autre ordre que « Peux-tu me passer le sel ? » ou « Pourquoi la pauvreté ? ». Ce sont des questions où on prend beaucoup de hauteur, et naturellement, il se peut que quelqu’un semble décoller du monde réel pour expliquer le monde dans ces moments-là. Pourtant, c’est autour de ces questions qu’il faut rester réceptif, et disons, critique. Les religions ont des capacités surprenantes à bloquer les auto-examens, ou toute théologie critique qui attesterait des modifications des textes sacrés dans l’histoire… Et pourtant, ce qui nous intéresse c’est savoir ce qui est vrai, pas se faire embrigader dans un système de croyances qui n’est finalement que de la poudre aux yeux.
Or, dans « le grand marché des religions », on a de la difficulté à y voir clair… sauf pour le croyant convaincu qui n’y déroge pas.
L'exception métaphysique réside donc dans l'idée qu'autour de ces questions existentielles, autour desquelles les religions et la philosophie sont les expertes, on peut entendre, à l'occasion, des explications mystiques décoller complètement de toutes nos conceptions connues du monde réel. Or, il faut demeurer ouvert à ces explications, qui peuvent parfois avoir l'air folles. Qui serait-on, sans aucune analyse ni réflexion plus poussée, rejeter du revers de la main une explication du monde, aussi farfelue puisse-t-elle paraître?
Bref, les questions métaphysiques sont les plus épeurantes (parce que fatalistes et inéluctables, elles touchent directement à notre conscience de notre finitude personnelle), mais les plus importantes, et les plus difficiles à comprendre et analyser, du fait de leur grande abstraction (leur absence de factualité dans le monde réel directement perceptible).
Les questions de moindre abstraction
Les questions sociales (les questions qui ont rapport au monde des hommes), et les questions de la vie quotidiennes, sont donc plus facilement analysables, et la vérité peut davantage être directement reliée à une factualité (des faits) réelle, tangible et concrète.
En conclusion
À retenir : Une vérité existe, et non pas plusieurs. Cette vérité est extrêmement complexe et ramifiée dans un monde immense. Néanmoins, plusieurs interprétations tentent d’interpréter ce donné factuel réel véritable, et ce, souvent dans l’erreur volontaire (l’idéologie à visée politique) ou involontaire (l’erreur logique, l’ignorance, ou le crétinisme).
Ce qui est important, c’est la recherche de la vérité sur ce monde.
Il n’importe pas de connaître la vérité ultime, objective et totale. Même si c'est le but ultime, c'est un idéal inatteignable. Il faut pourtant toujours tenter de s'en approcher.
Et en tant que courroie de transmission du savoir véritable (vérité), il ne faut pas occulter des parties de la vérité de notre monde réel.
Certaines personnes, en effet, disent que chacun a sa vérité, et certaines personnes savent certaines choses sur notre monde, mais choisissent de ne pas les révéler, ou alors, seulement avant de mourir (et même parfois après leur mort par testament).
Or, quelqu’un qui choisit d’occulter des parties de la vérité sur notre société est quelqu’un qui véhicule un modèle incomplet de ce qu’est notre monde, et par conséquent, induit en erreur ceux qui cherchent la vérité. Ce serait, disons, un mensonge par omission.
Ainsi, les gens qui cherchent la vérité ont le devoir de la transmettre également.
Terminons en disant ceci, qui est très important : Quand il s’agit de notre monde réel, autant sur le plan métaphysique que sur le plan de la société, il faut chercher la vérité, mais il faut également la transmettre dans son intégralité.
C’est-à-dire que quelqu’un qui est un transmetteur de « savoir », mais qui omet des segments de la vérité dans son explication du monde, n’est plus dans la vérité, même s’il dit qu’il l’est. Souvent, surtout à l’école, quand le professeur tourne les coins ronds sur certaines questions, en omettant des parties de la réalité, il n’est plus dans la vérité.
Ainsi, la vérité, ce n’est pas tout savoir de « La Vérité » (inatteignable car trop complexe pour un individu), mais c’est dire tout ce que l’on sait sur un sujet philosophique ou social. C’est donc être convaincu qu’on dit 100% de la vérité qu’on croit détenir. Si on sait qu’on omet des segments de notre compréhension du monde, alors on fait de l’omission, et donc on ne dit pas la vérité. Ça arrive à l’école.
Si vous êtes à l’école et que vous remarquez qu’un professeur tourne toujours les coins ronds en parlant d’un sujet, ou qu’il fait de l’évitement, vous saurez que votre professeur n’est pas dans la vérité, peut-être volontairement. Il omet de parler d’une zone de son savoir sur la société ou le monde en général.
P.S. Ne pas mélanger avec la vie quotidienne
Si nous avons parlé de la recherche de la vérité, nous parlions de la vérité sociale et philosophique : les questions qui ont rapport à savoir comment la société fonctionne, comment ses secteurs s’emboîtent ensemble et comment cette articulation fait que ça marche. Même chose pour l’Univers en général (philosophiquement).
Dans la vie des individus, la vérité est importante, mais moins « cruciale » disons. Quotidiennement, on glisse des petits mensonges çà-et-là. Des mensonges souvent par fatigue, de ne pas vouloir toujours tout expliquer.
Le plus commun est le : « Ça va ? » qu’on répond par un « Oui » afin de ne pas déballer tous nos états d’âme à chaque fois. Dire la vérité à tout prix pourrait souvent donner un « Fatigué. » ou « Pas tellement. » Etc. Bref, vous avez compris, la vie quotidienne ne répond pas aux mêmes critères de vérité que la « recherche de la Vérité » dans le grand questionnement philosophique et social en général.
Il fallait que nous fassions la nuance, pour être certains que tout le monde l’avait bien comprise.