…ou le moment où Christopher Nolan nous offre son « 2001 L’Odyssée de l’espace », 45 ans après Stanley Kubrick.
Genèse du projet
Ce film, apprend-on, tire ses racines d’un projet amorcé dès 2006 de travaux du physicien américain Kip Thorne et mis en scénario par Jonathan Nolan, le frère de Christopher, pour finalement être abouti et publié à la projection fin 2014. Il aura donc passé 8 ans, à peu près.
Un film intéressant selon plusieurs aspects…
De sublimes prises de vue dans l’espace
Pour ceux qui aiment les images de l’espace intersidéral ou de surfaces d’autres planètes, Interstellaire offre quelques passages desquels s’imprégner, rapidement, mais lors desquels on cesse momentanément de respirer tant les images sont sublimes.
Si les images du précédent « film de NASA », Gravity, peuvent être elles aussi impressionnantes, c’est dans un tout autre contexte. Celui d’Interstellaire est plus serein, calme et d’un côté que l’on devinerait glacial dans cet espace intersidéral. C’est qu’il faut se rendre aux environs de Saturne (que l’on voit d’ailleurs époustouflante). Un voyage de quelques deux années. Les astronautes hibernent ce temps-là, dans ce silence d’espace.
Thèmes
Les thèmes sont surtout les suivants :
Théories de physique astronomique : voyage spatial, trou de ver (raccourci intergalactique via une déformation de l’espace-temps), trou noir (singularité, passage derrière l’horizon des événements), une modélisation des quatre dimensions, relativité du temps qui passe plus ou moins vite selon qu’on soit en tel lieu de l’espace-temps, physique quantique, théorie des cordes (plus ou moins), 3ème loi de Newton, maîtrise de la gravité.
Liens avec idéologies actuelles ou questions de société abordées dans le monde actuel : la GPA est abordée de façon positive, les traitements classiques (tests « scanner IRM » pour dépistage) contre le cancer sont revalidés, « les humains détruisent leur planète », la véracité du succès de la mission lunaire de la NASA durant la guerre froide, la modification et révision de l’histoire.
Défiance de la « science » et de la méthode scientifique strictement appliquée à tout. Ce qui dépasserait l’horizon possible inhérent à cette méthode serait forcément à rejeter. Christopher Nolan instille le doute par rapport à la toute puissance explicative de la science à elle seule. Elle ne serait peut-être pas suffisante pour tout expliquer.
Thème d’analyse de la société : la NASA passe d’une organisation gouvernementale officielle et connue à une firme gouvernementale officiellement démantelée dont l’existence devient occulte avec des financements gouvernementaux secrets. Avec Interstellaire, on entre ici un peu dans le monde des « shadow institutions » et « shadow government », institutions de l’ombre.
Pourquoi ce film n’a pas été un immense succès au box-office ?
Parce que la promotion et le marketing n’ont pas été fait adéquatement : le film n’a pas assez fait parler de lui. Aussi, le film n’est pas sorti exactement au bon mois (fin novembre...). S’il y avait continuellement eu des bandes-annonces dans les cinémas, sur Internet et sur des affiches publicitaires partout en ville (autobus, murs, toilettes, écoles, métro, affichage de rue), en rappelant bien sûr que c’était le nouveau film de Christopher Nolan, celui qui nous a donné Memento, The Dark Knight et Inception, et même ainsi que Interstellaire reprend un peu de chacun de ces trois films (qui chacun ne rejoint pas le même public), il aurait fait salles combles. Il faut donc éventuellement penser que, surtout pour des entreprises telles que Warner Bros, Paramount et Legendary Pictures, le plan de marketing en a été décidé ainsi. Produire donc un film qui serait au moins rentable, mais destiné à un public plus limité.
Et pourquoi pas : ce n’est pas un film d’action. Ce n’est pas un film de fusils, ni d’humour douteux, non plus sexuel. On ne peut pas non plus dire que ce film est un pur divertissement, ni non plus abrutissant, aux premiers abords. Il semble traiter de théories et, aussi surtout, de questions existentielles, de philosophie.
Lien entre espace intersidéral et sens de la vie
Ce film est l’un des rares moments du cinéma, tout comme dans le cas de 2001 de Kubrick, où on comprend, on vibre, on ressent ce lien tenace qu’il y a entre l’idée d’espace lointain et du sens de la vie, et donc de philosophie.
[« Spoilers » ci-dessous : Si vous n’avez pas encore vu le film, nous vous conseillons de cesser de lire maintenant. Regardez le film et revenez lire la fin de l’article ensuite.]
Dans ce film, il s’agit d’assurer la survie de l’humanité, et c’est ce pourquoi il faut chercher une nouvelle planète habitable car la Terre redeviendra désormais hostile à la vie, quoi qu’on y fasse. Là où le film devient très philosophique, c’est lorsque dans cette recherche d’une nouvelle planète, les astronautes explorateurs (Cooper en tête), doivent se rendre sur la planète « Miller » où, ils le savent, conséquence de la relativité, une heure passée sur cette planète équivaut à 7 ans sur la Terre. Le vaisseau principal demeure hors du champ de la relativité temporelle avec à son bord un des explorateurs, et les autres plongent dans cette distorsion temporelle, pour n’en revenir qu’environ trois heures plus tard. L’astronaute qui était resté dans le vaisseau principal aura attendu 23 ans… Cooper, l’astronaute protagoniste qui a deux enfants, aura vécu 3 heures, mais au retour de cette planète finalement hostile, il aura des messages vidéos de ses enfants cumulant 23 ans de vie : passage de l’enfance à l’âge adulte, mariage, enfants, rancœur face à lui de ne jamais être revenu. Et tout ça en trois heures.
Ce moment du film, très cathartique a, selon moi, le grand mérite de lancer le message suivant : regardez à quel point votre vie est relative. Regardez à quel point tout ceci peut passer à une vitesse à laquelle on aurait jamais cru, au début. Et pourtant. C’est là toute l’idée de l’article « La quatrième dimension »… En effet, dans ce cas, Cooper s’est extrait du temps, puis s’en trouve en décalage énorme avec la vie.
Une autre idée intéressante par rapport au fait d’embrasser sa vie dans son caractère si éphémère réside dans le passage où la fille de Cooper se refuse à le voir partir et entre rébellion. Elle a décodé un mystérieux message dans les anomalies gravitationnelles de sa chambre, le simple mot « Reste ». Son père, Cooper, très « cartésien » (du nom de Descartes, abus de langage pour dire « très croyant dans l’idée d’une toute puissance de la méthode scientifique » comme seule source de raison et de sens), trouve cela absurde et pour lui, ce ne sont que les gamineries d’une enfant qui, hélas, comprend que son père partira très longtemps et veut l’en empêcher. Mais qu’il y ait-là un message, un vrai ? Impossible : pas scientifique.
Et là… le père part. Peut-on dire qu’il sera vraiment revenu un jour ? En tout cas, Interstellaire nous rappelle ici une autre donnée par rapport au temps si court (tantôt c’était la relativité de la vitesse du temps et la quatrième dimension). Cela réside en ceci : le temps est court, certes, et il importe de chérir celles et ceux qui nous sont chers. (En plein ce que Gilles Vigneault dit : « Le temps qu’on a pris pour dire « Je t’aime », c’est le seul qui reste au bout de nos jours ».) Cooper l’aura compris trop tard… quand il aura passé de l’autre côté du miroir, ou dans ce cas-ci, de l’autre côté de la bibliothèque. C’est un message à tous les papas et toutes les mamans qui sont trop occupés au travail comme si c’était une question de vie ou de mort. Dans le cas de Cooper, c’est effectivement une question de la vie ou la mort de tous les hommes. Mais… dans la vie de tous les jours, ce n’est évidemment pas le cas, et c’est le beau message que Nolan nous livre ici. Avoir compris, trop tard, qu’on avait perdu notre temps à des choses futiles, et que l’essentiel nous a glissé des doigts et qu’il est maintenant trop tard, est l’un des pires sentiments. Interstellaire nous le rappelle ici.
Là où on sent que le jeu des acteurs ne collerait pas au réel
Lors de la finale, quand il y a la réunion enfin, on aurait pu espérer quelque chose comme une émotion plus vive, et une phrase du genre « Ma petite fille ! », pour vraiment marquer davantage la situation. Lorsqu’on se pose la question : « dans une situation réellement vécue, l’acteur aurait-il réagit de cette façon ? », il semble ici que c’est trop peu émotif, surtout compte tenu de ce que toute la situation implique.
Ambiances musicales de M. Zimmer
Hans Zimmer et son équipe ont élaboré les ambiances sonores d’Interstellaire. On a senti la note philosophique jusque dans cette musique, qui oscille tantôt entre les grandes orgues des cathédrales, puis tantôt à la musique grisaille, nuageuse et de verre du compositeur Philip Glass. Un genre de mélange des deux, les grandes orgues là où, justement, il y a points d’orgue. Cette musique est souvent voilée, froide, mais elle espère. Deux ou trois passages dans le film sont abriés d’une musique plus sombre, aux accords et sonorités vraiment plus maléfiques. Les crescendos sont fréquents dans le film (c’est-à-dire des passages rapides à de moments très silencieux à des moments très sonores), et il y a souvent des moments de silence ou de dialogues sans ambiance. Pour la finale, attendez-vous à la plus belle pièce.
Dernier mot
Spontanément, on ajouterait ce nouveau film à notre Top 25.
S’il y avait obligation de déceler certains points négatifs, on retiendrait surtout le point suivant : le film prend plusieurs dizaines de minutes avant de « décoller ». Autrement, rappelons les points forts : l’image, les thèmes, la philosophie surtout autour de la question du temps, l’ambiance sonore. C’est un des bons films qui soit sorti ces dernières années, à côté de tous les films totalement débiles. Pour quelqu’un qui cherche simplement quelque chose de léger, ce film a cela de bon aussi : il peut être tout simplement très divertissant (bien sûr, ce n’est pas une comédie romantique, même si pourtant, à un moment il parle d’amour.)
Bonus : Films qui ressemblent à Interstellaire
2001 L’odyssée de l’espace, par Stanley Kubrick
Gravity, par Alfonso Curaon,
Memento, et un peu Inception, par Christopher Nolan
Disons également que Interstellaire est évidemment à ranger dans le grand dossier des films apocalyptiques (catégorie extrêmement prolifique ces dernières années).
Enfin, nous vous conseillons donc d’écouter ce film. C’est un des films qui posent des questions intemporelles et qui seront toujours pertinentes. Ça ne participe donc pas au phénomène de l’ « idiocratie » qui va souvent de pair avec les grosses productions cinématographiques de Hollywood.